3. ÉCHANTILLONS NATIONAUX

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TABLEAU 1 
Données relatives à sept études concernant les conséquences psychologiques de l’abus sexuel sur enfant (ASE) à partir d’échantillons nationaux

TABLEAU 2 
Pourcentage de conséquences psychologiques négatives déclarées après abus sexuel sur enfant (ASE) ; USA

TABLEAU 3 
Pourcentage d'ajustement variance expliqué par CSA in études à partir d’échantillons nationaux

 

Depuis une vingtaine d'années, notre société s'est mise à croire que l'ASE a un "effet spécialement destructeur sur la santé mentale de l'adulte". Cela implique que toute personne donnée, homme ou femme, ayant vécu un ASE aura subi des dommages profonds. La meilleure façon de mettre cette affirmation à l'épreuve serait d'examiner la population tout entière : c'est bien sûr impossible. A défaut, on peut prendre un échantillon représentatif de cette population et essayer d'en tirer des conclusions : c'est ce que des chercheurs ont fait dans plusieurs pays. Ils ont obtenu des échantillons de probabilité nationaux, qui sont simplement des échantillons choisis pour être représentatifs de la population d'un pays donné. Les données obtenues concernant la relation entre l'ASE et l'équilibre général de l'individu sont très importantes, car elles rendent mieux compte des cas les plus courants que ne pourraient le faire des données tirées d'études cliniques.

Voici quelques années, nous avons réuni les résultats de toutes les études basées sur des échantillons nationaux qui examinaient le rapport ASE-équilibre individuel. Le Tableau 1 (page suivante) est une liste de ces études avec certaines de leurs caractéristiques. Tout d’abord, nous constatons que quatre études ont été menées aux USA, une au Canada, une en Espagne et une en Grande-Bretagne. Plusieurs études ont été faites par le biais d'interviews, d'autres par téléphone, d'autres utilisaient un questionnaire que les sujets remplissaient pendant que le chercheur attendait à côté, une autre s'est déroulée par courrier. Deux études n'ont examiné que les ASE vécues par les sujets comme indésirables. Les cinq autres études ont examiné à la fois les ASE vécus comme désirables et indésirables. Le taux de réponse a été très élevé. Le pourcentage de sujets ayant vécu un ASE allait de 6 à 36% pour les hommes et de 14 à 51% pour les femmes. La variation importante des pourcentages s'explique par les définitions très variées qu'on donnait de l'ASE. Si l’on met à part les deux études dont la définition de l'ASE semble beaucoup trop large (incluant dans l'ASE des relations sexuelles consenties entre frères et sœurs par exemple), le pourcentage allait de 6 à 15% pour les hommes (moyenne 11%) et de 14 à 28% pour les femmes (moyenne 19%).

Le meilleur chiffre dont nous disposions à l'heure actuelle sur le taux d’occurrence de l'ASE est donc de 11% pour les hommes et de 19% pour les femmes.

Ces études ont donné deux types de résultats fort utiles pour apprécier les idées couramment admises sur l'ASE. Le premier concerne les effets auto-rapportés – c'est-à-dire la vision du sujet lui-même sur la façon (négative, neutre ou positive) dont l'expérience sexuelle l'a affecté. Le second consiste en des mesures objectives de l'équilibre psychologique et sexuel.

 

TABLEAU 1

Données relatives à sept études concernant les conséquences psychologiques de l’abus sexuel sur enfant (ASE) à partir d’échantillons nationaux

 

Etude

Sujets de l’étude

Type

Définition de l’ASE

Taille de l’échantillon

Occurrence de l’ASE

Taux de réponse

 

 

 

 

H

F

H

F

 

Badgley et al.

(1984)

Canada

âge: 18 +

QRS

Toute relation

non désirée; C, NC

1002

1006

31%

53%

94%

Baker & Duncan (1985)

GB

âge: 15 +

FAF

<16 ; (sexuellement mature) ; C, NC

834

923

9%

14%

87%

Bigler

(1985)

USA

âge 30-55

LET

<18; (5+, en famille ou violent) ; C, NC

140

174

36%

51%

33%

Boney-McCoy Finkelhor (95)

USA

âge 10-16

TEL

Tout contact sexuel non désiré ; C, NC

987

911

6%

15%

72%

Finkelhor et al

(1989)

USA

âge 18 +

TEL

<19 ; tout acte vu comme AS ; C, NC

1142

1476

15%

28%

76%

Laumann et al

(1994)

USA

âge 18-59

FAF

avant puberté ; (après puberté) ; C

1311

1608

12%

17%

79%

Lopez et al

Espagne

âge 18-60

FAF

QRS

<17 ; (5+, ou violent) ; C, NC

462

433

15%

22%

82%

Comme le montre le haut du tableau 2, l'expérience a été dommageable d'une façon ou d'une autre pour 37% des hommes, c’est-à-dire qu'elle ne l'a pas été pour 63% ; les pourcentages sont inversés pour les femmes puisque l'expérience s'est révélée plus ou moins dommageable pour 64% d'entre elles. Là encore nous constatons une différence liée au sexe. Dans la dernière étude, Laumann a interrogé les sujets sur les expériences qu'ils avaient pu avoir avant la puberté ; 45% des hommes ont parlé de certains effets négatifs, pourcentage qui s'élève à 70% pour les femmes: encore une fois, on constate une nette différence entre les sexes.

 

TABLEAU 2 

Pourcentage de conséquences psychologiques négatives déclarées après abus sexuel sur enfant (ASE) ; USA

 

Etude

Occurrence temporelle étudiée

Hommes

Femmes

 

 

%

N

%

N

Badgley et al (1984)

au moment des faits

7

307

24

538

Baker & Duncan (1985)

au moment des faits et depuis les faits

37

79

64

119

Laumann et al (1994)

au moment des faits et depuis les faits

45

134

70

273

 

 

Étude

Questions posées

Hommes (N=79)

Femmes (N=119)

Baker & Duncan

(1985)

Dommage permanent

4%

13%

 

Néfaste sur le moment, mais pas d’effet à long terme

33%

51%

 

Pas d’effet

57%

34%

 

Amélioration de la qualité de vie

6%

2%

 

Ensuite, nous avons examiné le rapport entre ASE et équilibre psychologique et sexuel en comparant des sujets ASE avec des sujets témoins. Comme le montre le tableau 3, cinq études ont fourni des données exploitables. A nouveau, les mesures d'effets indiquent le pourcentage de variation d'équilibre parmi tous les sujets imputable à l'ASE. Pour les hommes, on trouve de 0,16 à 1,44% (moyenne 0,49%) et pour les femmes, de 0,25 à 4% (moyenne 1%). Ces résultats montrent plusieurs choses. Tout d'abord, les hommes et les femmes ayant vécu un ASE ont un moins bon équilibre que les sujets témoins. Ensuite, bien qu’elles soient statistiquement significatives, ces différences sont faibles. Pour les hommes par exemple, 99,51% de la variation constatée dans les tests d'équilibre peut être expliquée par d'autres facteurs que l'ASE. Ce résultat montre qu'en général, contrairement aux idées reçues, l'ASE n'affecte pas de façon majeure le bien-être psychologique et sexuel des personnes qui l'ont vécu.

TABLEAU 3

Pourcentage d'ajustement variance expliqué par CSA in études à partir d’échantillons nationaux

Étude

Hommes

Femmes

N

%

N

%

Bigler (1992)

140

0.49

174

2.89

Boney-McCoy & Finkelhor (1995)

987

1.44

911

4.00

Finkelhor et al. (1989)

1142

0.25

1476

0.49

Laumann et al. (1994)

1311

0.49

1608

0.25

López et al. (1994)

462

0.16

433

0.81

Totaux 

4042

0.49*

4602

1.00*

* indique un résultat statistiquement significatif. 

Cette méta-analyse nous permet de mieux comprendre les cas typiques d'ASE, bien plus que n'ont pu le faire les analyses cliniques. Ses résultats contredisent l'idée selon laquelle les dommages seraient largement répandus, durables et profonds. Les mesures d'effets sont faibles ; il aurait fallu qu'elles soient importantes (voire moyennes) pour que l'on puisse conclure à des dommages profonds. En outre, les garçons ont réagi de façon beaucoup moins négative que les filles, ce qui contredit l'hypothèse selon laquelle garçons et filles réagiraient de façon également négative.

Il nous faut examiner avec soin une dernière hypothèse : les différences d'équilibre (faibles mais statistiquement significatives) constatées chez les sujets ASE par rapport aux sujets témoins sont-elles imputables à l'ASE ? Avant d’aborder ce point important, il nous faut dire deux mots de méthodologie.

Aux USA, les Blancs ont en moyenne un QI de 15 points supérieur aux noirs. Allez-vous en conclure que cette différence est due à la race ? En ce cas vous pourriez, à juste raison, être accusé de racisme. Blancs et Noirs sont différents non seulement par leur race, mais aussi par leur statut socio-économique et par bien d'autres choses encore. La différence de QI peut s’expliquer par l’influence du milieu défavorisé plutôt que par la race. Le milieu familial a un impact certain sur le développement intellectuel et peut jouer le rôle de troisième variable qui explique totalement l'association des deux variables principales, la race et le QI.

Une différence de QI de 15 points peut se traduire de la façon suivante : la race intervient pour 34% dans la variation de réussite aux tests de QI entre blancs et noirs. Dans nos échantillons nationaux, l'ASE était responsable de 1% de variation de l'équilibre général pour les femmes et de seulement 0,5% pour les hommes : en comparaison, la race a un effet de 34 à 68 fois plus important sur la variation des QI ! En conséquence, si nous pouvons prétendre que la différence de QI vient non pas de la race mais d'un milieu familial moins favorisé, nous pouvons certainement prétendre la même chose pour l'ASE et affirmer que les petites différences d'équilibre que l'on a remarquées peuvent provenir de différences dans le milieu familial.

Les enfants de familles à problèmes sont moins surveillés, plus susceptibles et plus enclins à adopter des attitudes hors-normes telles que l'usage de drogues, l'absentéisme scolaire, une sexualité taboue (avec des adultes par exemple). Dans cette optique, un milieu familial défavorisé les prédispose non seulement à l'ASE mais aussi à un moins bon équilibre général.

Ce scénario suggère que le degré de causalité entre l'ASE et l'équilibre puisse être beaucoup plus faible, voire inexistant.

Finkelhor et ses collègues ont participé à deux des études nationales, en utilisant une analyse statistique pour trouver d'autres variables qui auraient pu expliquer le rapport ASE-équilibre. Dans les deux études, le rapport a gardé une valeur statistiquement significative : ils en ont conclu que l'ASE entraînait un moins bon équilibre général. On pourra critiquer la méthode de Finkelhor, qui n'a pas pris en compte des variables qui, d'autres chercheurs l’ont montré, peuvent expliquer le rapport ASE-équilibre général. Parmi ces variables figurent la violence physique et les carences affectives, que l'on a tendance à confondre avec l'ASE quand elles lui sont associées. Le chercheur Wisnievski, par exemple, a étudié l'ASE dans 32 échantillons d'étudiants choisis être représentatifs de l'ensemble des étudiants américains. Quand elle a fait un calcul statistique en prenant pour variables des abus non sexuels, elle s'est aperçu que le rapport ASE-équilibre général avait disparu. Elle en a conclu que " les informations obtenues ne permettent pas d'expliquer les problèmes émotionnels par l'abus sexuel " et ajoute que " Les résultats semblent démontrer que ce sont d'autres facteurs, comme la violence familiale, qui ont le plus grand impact sur l'équilibre émotionnel ". Nous reviendrons à ce sujet de la causalité et du contrôle statistique en examinant les résultats de notre deuxième méta-analyse.

 

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