9. CONCLUSION

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Le résultat de toutes nos études le montre clairement : tenir pour acquis, comme le font la plupart des professionnels de la santé mentale, des hommes de loi, des policiers spécialisés, des médias et le public en général, que les relations sexuelles définies par le terme ASE provoquent des dommages profonds et généralisés aussi bien chez les garçons que chez les filles, c'est se livrer à une grossière exagération. Cette exagération fait partie d'un nouveau mode de pensée en noir et blanc où le gris n'a plus sa place. Cette pensée, à son tour, a le pouvoir de générer des réactions hystériques qui se sont multipliées depuis les années 80. Un exemple frappant de mystification de ce type a été la multiplication des cas d'abus sexuels sataniques signalés dans les maternelles aux USA il y a 15 ans. Pour comprendre toutes les implications de cette hystérie à propos de l'abus sexuel, due à des idées complètement extravagantes sur l'ASE, examinons quelques exemples.

En 1983, à Manhattan Beach (Californie), la mère d'un garçon de deux ans a prétendu que son fils avait été abusé sexuellement au jardin d'enfants Mc Martin par un certain Ray Buckey, petit-fils de la directrice et membre du personnel. Au fil des mois ses accusations sont devenues de plus en plus bizarres. Elle a affirmé qu'on avait emmené son fils par avion dans une autre ville où il avait rencontré un chevrier. Là, Ray Buckey s'est mis à voler dans les airs; sa mère, habillée en sorcière, a fait un lavement au petit garçon. On lui a planté des agrafes dans les oreilles, les tétons et la langue, on lui a enfoncé des ciseaux dans les yeux. On a égorgé des animaux devant lui, on a coupé la tête d'un bébé et on a forcé le petit garçon à boire son sang.

La mère de l'enfant était sujette à des hallucinations. Pourtant, la police et les psychologues ne se sont pas montrés sceptiques. Bien au contraire, ils ont mené une enquête approfondie pour savoir si d'autres enfants se trouvaient concernés. Les parents, à qui on avait fait peur et qui craignaient que leurs enfants aient pu eux aussi être victimes, les interrogeaient sans relâche. La police et les travailleurs sociaux ont interrogé 400 élèves ou anciens élèves de l'école. Au début, aucun enfant n'a reconnu le moindre abus. Mais les travailleurs sociaux ont fait une telle pression sur les enfants que la plupart d'entre eux se sont mis à proférer des accusations : il s'agissait d'histoires abracadabrantes où il était question d'enlèvements par des hommes en cagoules, de mutilations rituelles d'animaux et de bébés, d'orgies sexuelles ayant lieu dans des tunnels situés sous l'école. Pour provoquer ces accusations, les travailleurs sociaux ont eu recours à diverses techniques comprenant, entre autres, la désinformation, la menace, la promesse de gratification, la modélisation.

Pour avoir des exemples de ces techniques et la preuve expérimentale incontestable de leur redoutable capacité à produire de faux souvenirs, nous vous renvoyons à un article publié en 1998 par Garven et ses collègues dans Journal de Psychologie Appliquée (vol. 83, p. 347-359). Pour finir, après deux procès qui ont duré 7 ans et coûté environ 20 millions de dollars – ce qui en a fait les procès criminels les plus longs et les plus coûteux de l'histoire américaine – aucune condamnation n'a été prononcée. Ray Buckey a dû cependant passer cinq ans en prison avant de recouvrer la liberté.

Il y a d'autres exemples. En 1985 dans le New Jersey, Kelley Michaels est accusée d'avoir agressé sexuellement des maternelles avec du beurre de cacahouète, des épées, des tampons imbibés de sang, de l'urine, des excréments, le tout accompagné de menaces de mort. Elle était censée avoir commis ces crimes contre des dizaines d'enfants pendant sept mois, au milieu de tout le monde sans qu'aucun adulte ne la voie et sans laisser aucune trace physique. Le jury l'a condamnée à près de 50 ans de prison. Après cinq années d'incarcération, sa condamnation a été annulée.

Dale Akiki, un ancien professeur de San Diego, a été accusé par ses jeunes élèves d'avoir sacrifié des lapins, tué un éléphant et une girafe, sodomisé des enfants avec un fer à friser, les avoir mis sous la douche et fait couler alternativement l'eau chaude et l'eau froide jusqu'à ce qu'ils vomissent, leur avoir enfoncé la tête dans la cuvette des W.C., les avoir forcés à avaler des excréments et de l'urine, avoir tué un bébé et les avoir forcés à boire son sang. Comme dans le cas de Kelley Michaels, tout s'était soi-disant produit alors que d'autres adultes se trouvaient sur les lieux et n'avaient rien remarqué. Comme pour Michaels, on n'a pas pu trouver la moindre trace d'indice matériel. Cependant, il fut poursuivi et passa en procès, risquant une condamnation à perpétuité. Il eut la chance d'être acquitté après n'avoir passé que deux ans et demi en prison. Robert Kelly, codirecteur du jardin d'enfants "Les Petits Chenapans" en Caroline du Nord, a été poursuivi pour des faits similaires. Son procès a été le plus long et le plus coûteux de toute l'histoire de cet Etat. Il fut déclaré coupable et condamné 12 fois à la prison à vie. Au bout de cinq ans passés en prison, sa condamnation fut annulée.

Prenons un dernier exemple. Un jour de 1989, alors qu'il allait se rendre au travail vêtu de son uniforme Burger King, Bobby Fijnje, un citoyen hollandais, fut arrêté chez lui en Floride du Sud, accusé d'avoir agressé les jeunes enfants dont il était le baby-sitter et d'avoir abusé d'eux au cours de rituels sataniques. Une affaire d'autant plus exceptionnelle que Bobby n'avait que 14 ans à l'époque et que, comme l'attestent des photos de lui à cet âge, il paraissait plus jeune : c'était encore un gamin. Malgré cela, la police, les médias et les procureurs l'ont attaqué sans merci. Comme il devait le raconter plus tard, le policier qui l'a arrêté, l'inspecteur Martinez, lui a dit en le conduisant jusqu'à la voiture de police : "Avant de te connaître, je savais que tu étais coupable. Mais maintenant que je te connais, j'en suis absolument certain."

Le déchaînement médiatique contre Bobby n'a pas connu de cesse. Les médias ont révélé aux spectateurs que les parents de Bobby étaient membres d'un réseau international de pornographie et que Bobby avait entraîné des enfants à accomplir d'horribles rituels, comme (par exemple) faire cuire un bébé et le dévorer. Les procureurs l'ont inculpé comme un adulte, ce qui voulait dire que s’il était reconnu coupable, ne fût-ce que d'un seul des chefs d'accusation pesant contre lui, il serait condamné à la réclusion à perpétuité dans une prison de haute sécurité, sans possibilité de libération conditionnelle. Pendant le procès, les procureurs ont fait de leur mieux pour faire passer ce garçon pour un monstre. Leur volonté farouche de faire en sorte que le garçon meure de vieillesse en prison apparaît clairement quand on sait que trois millions de dollars ont été dépensés pour ce procès (qui a été le plus coûteux de toute l'histoire de la Floride).

Après près de deux ans passés en prison, avoir enduré trois mois de procès, Bobby fut totalement acquitté. Ce résultat fut obtenu grâce au témoignage capital du Docteur Stephen Ceci, un grand psychologue de l'Université de Cornell qui a mené des recherches retentissantes montrant comment, en interrogeant des enfants de façon insidieuse, on pouvait faire naître de faux souvenirs qui menaient à de fausses accusations d'abus. Ses recherches ont permis depuis lors d'annuler de nombreuses condamnations concernant des personnes travaillant dans des jardins d'enfants.

La responsable de ces attaques impitoyables contre Bobby, ce fut Janet Reno, alors Procureur Général de l'état de Floride. Elle prétendait mener une croisade en faveur des enfants, et s'occupait principalement de poursuivre les abus sexuels. Elle pensait que l'abus sexuel était le pire des crimes et croyait que les enfants ne mentaient jamais à ce sujet. Sa méthode Miami, comme on l'a appelée, a fait des émules parmi les autres procureurs du pays. Elle consistait en particulier à effectuer des interrogatoires très agressifs comme dans l'affaire Mac Martin. La méthode Réno était davantage susceptible de "planter des graines funestes dans l'esprit des enfants" – pour reprendre le titre d'un article récent du New York Times – que de retrouver des souvenirs authentiques.

Reno a supervisé personnellement l'instruction de Bobby. Après les délibérations du jury, Bobby a dû passer deux heures et demie dans l'angoisse avant d'entendre l'énoncé du verdict, car il fallait que Reno soit présente dans le tribunal (sans doute pour qu'on la félicite d'avoir réussi à faire condamner Bobby). Grâce au témoignage du Dr Ceci, montrant comment les experts en abus sexuel avaient faussé les déclarations des enfants, Reno s'est déplacée pour rien ce jour-là. Dans une interview récente, présentée à la télévision américaine en octobre dernier, on demandait à Bobby, qui a maintenant plus de vingt ans, ce qu'il dirait à Reno s’il avait l'occasion de lui parler aujourd'hui. Voilà sa réponse :

Pourquoi avez-vous dépensé tant d'argent pour essayer de faire condamner un gosse de 14 ans ? Pourquoi avoir voulu mettre un gamin de 14 ans dans une prison de haute sécurité ? Comment quelqu'un qui part en croisade pour les enfants peut-il avoir l'idée de faire une chose pareille ?

Reno ne s'est jamais excusée de la façon agressive dont l'instruction avait été menée, et n'a même jamais reconnu que les méthodes employées aient pu être le moins du monde contestables. Pour la récompenser de son ardeur inquisitrice, on l'a nommée Ministre de la Justice des Etats-Unis, le rang le plus élevé de la hiérarchie judiciaire en Amérique. Un mois après avoir pris ses fonctions en 1993, Reno a ordonné l'assaut contre une secte religieuse près de Waco au Texas. Elle avait reçu du FBI des informations selon lesquelles des relations sexuelles se produisaient entre des adultes et des jeunes filles mineures. Toutes ces jeunes filles, ainsi que les autres membres de la secte, sont morts dans l'attaque. Incidemment les informations du FBI concernant des abus se sont révélées sans fondement. Une fois de plus le zèle de Reno pour "sauver" les enfants a conduit au désastre note 6.

Un vent de folie a soufflé sur les jardin d'enfants; les quelques cas exposés ne sont que des exemples parmi les nombreux cas qui ont touché l'ensemble des Etats-Unis et ont ensuite atteint nombre d'autres pays dans le monde.

Cette folie prend racine sur l'idée extravagante que l'ASE est tellement destructrice que tous les moyens sont bons pour éradiquer ce "mal absolu". Cette hystérie ne s'est pas limitée aux jardins d'enfants. A la fin des années 80, la théorie de la mémoire retrouvée a commencé à gagner du terrain. Elle était basée sur l'idée que l'ASE est tellement traumatisant pour les enfants qu'ils sont obligés d'en refouler le souvenir pour survivre. Beaucoup de thérapeutes ont commencé à fouiller agressivement l'enfance de leurs patients dans l'espoir d'y trouver des souvenirs cachés d'ASE, convaincus que ceux-ci étaient responsables de tous les problèmes psychologiques de leurs patients. A l'aide des même techniques coercitives utilisées lors des enquêtes en jardins d'enfants, ces thérapeutes ont fait naître de faux souvenirs dans le cerveau de beaucoup de ces patients vulnérables. Les patients adultes se sont alors retournés contre leurs parents, les accusant et les poursuivant même souvent en justice. Des familles entières se sont déchirées.

Il se trouve que la théorie de la mémoire retrouvée n'a aucun fondement scientifique. Il s'agit simplement d'un mouvement irrationnel né d'idées extravagantes sur l'ASE.

D'un point de vue psychologique, il est prouvé que les enfants des maternelles chez qui on avait fait naître le faux souvenir d'avoir été violés dans des tunnels ou sodomisés au fer à friser, ont souffert de divers symptômes pathologiques d'ordre clinique. Mais ces symptômes sont apparus après et non avant que les spécialistes de la protection de l'enfant ne les interrogent. Il est aussi prouvé, documents à l'appui, que de nombreux patients soignés par la mémoire retrouvée, loin d'être soulagés, ont vu leur état empirer après le début du traitement. Ces réactions pathologiques chez les enfants interrogés et les patients traités sont, de toute évidence dus aux effets de l'intervention. Le pire étant que les chercheurs de l'industrie de l'abus sexuel en ont profité pour attribuer ces nouveaux symptômes aux effets pathogènes de l'ASE.

Pour terminer, nous insistons sur le fait que notre exposé n'est nullement destiné à plaider en faveur d'attitudes classées dans la catégorie ASE.

Mais nous tenons à affirmer aussi que des vues extravagantes sur la nature de l'ASE peuvent considérablement aggraver le problème. Et tel a bien été le cas. Il est impératif que le discours social sur les attitudes classées dans la catégorie ASE se fasse sur des bases rationnelles et non émotionnelles, faute de quoi tous les problèmes dont nous avons parlé ne pourront que perdurer.

Comme Goya l'observait dans l'un de ses croquis : 
"El sueno de la razon produce monstros" note 7

 

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Les notes

6.  Un zèle payant, puisque Reno est aujourd'hui encore Ministre de la Justice des Etats-Unis (mai 1999). [En arrière]

7. Le sommeil de la raison produit des monstres.

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